photo : Blandine Soulage ouvrir le diaporama

[PRESSE] BAL DE FEU

Bal Clandestin

20 nov 2024

Enrico Maccias chantait : « donnez, donnez, donnez- moi, Dieu vous le rendra ». C’est exactement le secret projet de « Bal Clandestin », la nouvelle pièce de Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou présentée le 15/11/24 sur le grand plateau de l’Espace des arts, la Scène Nationale de Chalon sur Saône. Gageure.

Cette chorégraphie pour six puis huit, puis mille danseurs, deux DJ et un éclairagiste night clubeur, est à la fois généreuse et inquiétante comme peut l’être la clandestinité. Elle passe du noir au rouge. Les DJ malicieux troublent les pistes et lancent le game d’une danse à la fois libre et très écrite, avec des exploits corporels, des emprunts au Hip-Hop, à la danse classique ou de salon… Avec trois nouveaux danseurs dans leur compagnie, Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou renouvellent leur danse en rajoutant encore plus de rythme dans une pièce qui renoue à la fois avec le sens de la fête de « Vu », une précédente pièce, et laisse planer un goût de « Narcose » un ancien opus suffoquant…

Le cabaret interlope chasse la danse tribale avec cette volonté de donner de la joie qui se transmet par empathie avec une salle qui n’a d’autre choix que de danser.

Carioca et ChaCha, slow motion et techno beat.., tout y passe pour ce bal de feu où les lumières raffinées et discrètes de Xavier Lazzarini évitent l’inénarrable boule à facette des night clubs en posant ça et là des plaques de néons qui font des variations subtiles tout au long de la pièce… et qu’on ne vienne plus nous dire que la danse contemporaine est triste… Il suffit de venir un soir voir ce spectacle pour en être convaincus…

A part ça, le sens profond de ce bal clandestin, où est-il ?

Les deux chorégraphes tentent le grand plateau et le transforme en un bi frontal qui permet à la fois de mettre du public sur la scène et de placer les deux DJ – rudement inspirés ! – OGRA et Cali Kula à jardin, au milieu, à l’aplomb du grill de la cage de scène.

C’est au moment où l’on découvre son vis-à-vis que Aristide Desfrères entre sur scène comme venu de nulle part. Torse nu, pantalon noir, tel un toréador entrant dans l’arène, il défit tout le monde… le public et lui même… A la manière d’un stop piéton publicitaire, arrimé dans le sol, son corps glabre effectue des torsions qui semblent le pousser en dehors de lui même. Fluide, « serpentesque », il ondule, il roule de la tête jusqu’au bas du dos. Le mot Papillon s’affiche sur le mur face à nous pendant cet exploit… Chrysalide en mue, l’homme au D tatoué sur l’épaule marque le temps et la danse de cette gestuelle où le corps tient sur ses jambes mais où le torse ploie… On aurait pu écrire Roseau sur le mur.

Les chorégraphes laissent le temps à cette danse de nous submerger pour lancer à l’assaut de ce jeune insolent une myriade de corps encapuchonnés de noir. Les arabesques de Sakiko Oshi, elle aussi nouvelle dans la compagnie, ont des lignes parfaites. Sa danse classique et formelle apporte le contraste avec ce qui précède.

Miroir du monde est-il écrit au mur. Le trio devient quatuor puis quintette et enfin Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou sortent l’artillerie avec le sextuor qui tiendra la scène près d’une heure trente !

Pour encore plus casser le rythme, au son des gnaoua, Hafiz Dhaou entre et reprend les grandes lignes de son solo signature Kawa. On lit Habla – parle ou folie selon le continent ! – en lettre blanche sur le mur… le chorégraphe apporte cette maturité assumée et ce corps qui a changé… La pièce semble à son paroxysme lorsqu’une rupture se fait avec l’apparition de Fabio Dolce : mini short rouge, t-shirt blanc et, en monsieur loyal transgenre, il oblige sans les contraindre, tous les spectateurs à se lever de leur siège comme pour un concert de rock et à danser avec lui et suivant le rythme comme un Madison géant tchatchatcha… On remarquera au passage la qualité de son grand écart… cadeau. Danse plurielle dans ce bal… il y en a pour tous les goûts. Allora Guardami et basta lit-on sur le mur… effectivement rien à redire…

Le blanc fait son apparition. Un double duo met en avant l’extrême complicité des corps et de la danse de Stéphanie Pignon – magistrale – et Sakiko Oshi pendant que Bastien Roux et Aristide Desfrères reprennent un duo convainquant.

Le bal de feu prend forme et ceux qui étaient entrés pour regarder dansent !

Le monde de Kiko annonce Try me. On constate avec joie qu’après des années de chorégraphies pour la Biennale de danse de Lyon, Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou savent régler des ensembles avec des groupes sur scène loin d’être ridicules…

Johanna Mandonnet en robe rouge lamée et talons or reprend le flambeau et avoue que, bien que Malgache, sa mère lui conseillait de répondre au demandeurs qu’elle venait d’Auvergne, imparable !

Toute en ruptures, cette pièce secoue les lignes, rend visible les différences, montre le monde tel qu’il est et non pas tel qu’on le rêve…

Primitivement, en préparant ce spectacle, les deux chorégraphes voulaient faire « l’apologie de la clandestinité » et c’est surtout celle du non sens de se cacher qu’ils ont réussi a faire.

Ce n’est pas un hasard si c’est ces deux artistes nés dans un pays arabo-musulman, encore sous le joug de dictateurs autocrates, soient passés maîtres dans l’art de dévoiler ce que nous aimerions cacher.

Emmanuel Serafini, envoyé spécial à Chalon-sur-Saône

Tournée :

– 11/04/25 Le cratère Scène Nationale / Alès

– 21, 22 mai Maison de la danse de Lyon