[PRESSE]Bal Clandestin L'Humanité
« Bal clandestin » : à Chalon-sur-Saône, on a retrouvé les bals perdus
19 nov 2024 > 13 déc 2024Les chorégraphes Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek ont créé une pièce immersive, où s’exalte la joie de danser tous ensemble, sans autocensure, spectateurs y compris.
par Muriel Steinmetz
Les Franco-Tunisiens Hafiz Dhaou et Aïcha M’barek, « un vrai corps à deux têtes », créent BAL clandestin à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, Scène Nationale, où ils sont artistes associés depuis 20201. Interdits par le régime de Vichy de mai 1940 à avril 1945, les bals, loisir de la jeunesse de l’entre-deux-guerres, accusés de défier la morale et les bonnes mœurs, subissent un violent coup d’arrêt. Ils deviennent clandestins. Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou les ressuscitent en version XXL.
La lumière ruisselle sur scène en nappes sombres, sur un sol quadrillé comme un filet de pêche. À jardin, Haythem Achour, alias Ogra, s’affaire aux platines et au micro. Au lendemain de la Révolution de Jasmin (2011), il inaugurait à Tunis le tout premier club électro. Mehdi Ahmadi, alias Cali Kula, ex-animateur de Radio Tunis, l’accompagne.
Un à un, les interprètes vêtus de noir, investissent le plateau, tandis que les sons se multiplient en un style hanté et haletant. Ces six, puis sept danseurs (dont Hafiz Dhaou), ressemblent aux rouages d’une étrange machine, ou à de menus signes typographiques en mouvement.
Des mots s’incrustent à point nommé sur le mur du fond (« Papillons », « Miroir du monde », « Habla », « Try Me », « Cortège des vivants ») comme autant d’invites à se lever. Sur des gradins en fond de scène, d’autres spectateurs sont assis. Disparu, le quatrième mur ! Nous voici tous face aux danseurs et à nous-mêmes, en somme, dans un double anonymat, tous doublement clandestins. Et nombreux… Le duo de créateurs réunit son monde sous un angle imprévu. « Je crée les conditions de la libération dans un geste commun », nous dit Hafiz Dhaou à l’issue de la pièce.
Les fêtes clandestines du deuxième confinement
Les gestes, très écrits, millimétrés, d’une précision toute militaire, (paso doble, chachacha, battles…) s’inscrivent dans des corps aux pratiques diverses. Aristide Desfrères et Bastien Roux se sont nourris au hip hop. Sakiko Oishi a été biberonnée au Butô et à la danse contemporaine. Johanna Mandonnet s’avance avec grâce, non sans endurance.
Il y a aussi Stéphanie Pignon, Fabio Dolce et Hafiz Dhaou lui-même. Avec sa corpulence d’homme mûr, il fait souffler sur les planches un esprit soufi puissamment rythmé, tel un poème embrasé… Du noir, on passe au rouge qui libère la rétine et les talons hauts supplantent les baskets.
Soudain, les spectateurs du fond envahissent la scène, comme des papillons de nuit attirés par la lumière. Chacun sort de son isolement confortable, pour entrer dans le corps collectif, où chacun se familiarise avec lui-même au beau milieu de tous. Alors, le bal de jadis, prohibé, réprimé, reprend du service sous le manteau !
Et chaque spectateur s’agglomère aux autres pour créer une association aussi éphémère que puissamment soudée. On songe aussi aux « fêtes clandestines » du deuxième confinement, lorsque s’éternisait la pandémie et qu’après plus d’un an de fermeture des clubs, faire la fête était devenu « vital » pour de nombreux jeunes, bravant les interdits sanitaires.
La société sort vivement de ses gonds
BAL clandestin invente une forme immersive en toute sincérité, où la société sort vivement de ses gonds. Cela s’achève en une mini rave party, quand le soulèvement devient général. Nous montons tous sur scène, après avoir négocié avec nos doutes, nos scrupules, nos peurs. « Cette pièce est une réponse par la joie et la vie au gommage des émois, à l’auto-censure. » (...)